Beaucoup de notions se mélangent aujourd’hui autour d’un thème central occupant le quotidien des RH : le télétravail !
Du « pas de télétravail » au « tout télétravail », à « l’équilibre vie professionnelle, vie personnelle » en passant par « les risques psychosociaux » et les inégalités entre ceux qui peuvent télétravailler et ceux qui ne peuvent pas télétravailler, les enjeux sont nombreux.
Il est donc risqué aujourd’hui de parler d’avancée sociale sans nuancer son propos.
Dans cet article, Cyrille Hasdenteufel, directeur du conseil chez Fortify Conseil vous donne ses pistes de réflexion sur le sujet du télétravail.
Comment définir le télétravail ?
Comme tout article sérieux qui se respecte, il se doit de débuter par un peu de définition !
La définition fixée par l’accord-cadre européen de 2002, était plutôt rigide : « le télétravail est une « forme d’organisation du travail » qui répond à plusieurs critères :
- Le travail qui aurait pu être exécuté sur le lieu de travail, l’est en un autre lieu, grâce aux technologies de l’information et de la communication (TIC) ;
- Le télétravail est organisé par le contrat de travail ;
- Le télétravail est régulier ».
Le droit français a assoupli les critères de définition du télétravail malgré une culture du travail en présentiel forte.
Un manager ne travaillant pas à côté de ses collaborateurs semble compliqué. La valeur « présentéisme en entreprise » est également forte : un bon cadre est celui qui reste travailler tard et qui ne compte pas ses heures.
Le télétravail est donc extrêmement disruptif pour un droit du travail construit largement autour de l’idée de séparation entre les temps et lieux de travail et les temps et lieux de vie personnelle.
Selon le Code du travail, le télétravail désigne « toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication » (Article L.1222-9).
Il peut être mis en place dans le cadre d’un accord collectif, par une charte élaborée unilatéralement par l’employeur ou encore via un accord de gré à gré.
Pour autant, cet assouplissement des règles a-t-il conduit à une normalisation du télétravail ?
D’après la publication de l’INSEE sur l’économie et la société à l’heure du numérique, s’appuyant sur les chiffres de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère du Travail (DARES), on comptait seulement 3 % de télétravailleurs réguliers (pratiquant le télétravail au moins une fois par semaine) en 2017.
La DARES estimait par ailleurs que le télétravail occasionnel concernait 4 % des salariés. En ajoutant télétravail régulier et télétravail occasionnel, on atteignait donc le chiffre de 7 % des salariés recourant au télétravail, soit à peine 1,8 million de personnes.
Dans le détail, on constate que le télétravail était majoritairement pratiqué par des cadres.
La crise sanitaire de 2020 a fortement accéléré le recours au télétravail, et ce dans quasiment tous les pays du monde.
Voici un bilan de ces deux dernières années et de l’évolution des pratiques* :
- 26 % des actifs français télétravaillent régulièrement (contre 44,6 % de télétravailleurs en moyenne en Europe)
- 53 % des cadres pratiquent le télétravail
- Le nombre de jours télétravaillés s’élève à 3,6 par semaine en moyenne (Selon le baromètre annuel du télétravail 2021 de Malakoff Humanis, le nombre de jours télétravaillés en décembre 2020 est en moyenne 3,6 jours contre 1,6 jour fin 2019).
- 86 % des télétravailleurs souhaitent poursuivre le télétravail
- Le nombre idéal de jours télétravaillés est désormais de 2 jours par semaine alors qu’il était de 1,4 jour en novembre 2019
*Selon une enquête de la DARES de juin 2021
Les chiffres sont clairs, mais avec un peu de recul, alors c’est bien ?
Pour les salariés il peut y avoir de nombreux avantages… :
- Economie des coûts de transport, du temps et de la fatigue liés aux déplacements entre domicile et travail, ainsi que du stress lié à ces déplacements, avantage particulièrement important dans les métropoles denses marquées par la congestion de la circulation automobile, la saturation des systèmes de transport collectif et l’existence d’aléas importants dans la durée des trajets.
- Economie des frais liés à la restauration sur le lieu de travail et les frais d’habillement
- Economie des temps de trajet entre domicile (moyenne en France à 50 minutes selon une étude de 2015 de la DARES)
- Gain de satisfaction à travers l’autonomie supplémentaire que le télétravail leur offre dans leur organisation professionnelle ou encore la possibilité de mieux concilier vie privée et vie professionnelle
… et pour les employeurs aussi :
- Réduire les coûts immobiliers, en passant à des bureaux partagés, flexibles (flex-office). Selon une étude de l’Institut de l’Épargne Immobilière et Foncière (IEIF) publiée début 2021, les besoins en surfaces de bureaux en Ile-de-France pourraient, selon les scénarios, se réduire de 12 à 36 %.
- Augmenter la productivité des télétravailleurs, même si cette question fait l’objet de débats
- Réduire l’absentéisme
- Réduire les déplacements et ainsi l’accidentologie
Les risques liés à la pratique du télétravail
Si cette organisation de travail présente des avantages, elle peut occasionner des risques induits par une mauvaise organisation.
Ceux-ci peuvent notamment être liés à :
- Une organisation du travail non adaptée et susceptible de provoquer l’apparition de risques psychosociaux (26 % des salariés estiment que le télétravail a eu un impact sur leur santé psychologique)
- Une injonction implicite : être connecté en permanence car se sentant parfois contraints de devoir répondre immédiatement aux sollicitations de l’organisation, quels que soient l’heure et l’endroit
- Une mauvaise application du droit à la déconnexion (Code du travail à l’article L 2242-17) :
Le télétravailleur est supposé être autonome, le manager lui fait confiance, mais derrière cette relation de promesses réciproques (autonomie, liberté d’organisation), il y a des attentes implicites (flexibilité)
Le collaborateur pourrait chercher à démontrer à son employeur qu’il mérite l’organisation du travail flexible qui a lui été accordée
- Une augmentation de la charge de travail et du temps de travail
- Un report des charges de l’entreprise vers les télétravailleurs, qui peuvent être amenés à utiliser leur propre équipement informatique et à devoir s’équiper pour travailler à domicile
- Une détérioration de la santé physique et mentale : accentuer la tendance à la sédentarité, l’isolement dans le travail peut conduire à la dépression (19 % des personnes ayant répondu à une enquête de la CGT indiquent souffrir de symptôme dépressif)
- La présence de jeunes enfants à domicile
- Un isolement du salarié
40 % des managers soulignent la difficulté de manager les équipes à distance :
- Détecter les télétravailleurs en détresse (44 %)
- Gérer la fragilité des collaborateurs (43 %)
- Maintenir le lien entre les équipes (42 %)
Comment optimiser le télétravail et le pérenniser ?
Première étape : poser un cadre !
Qu’il s’agisse d’une charte télétravail ou d’un accord, c’est une étape essentielle.
En effet, le contenu de la charte ou des accords peut éviter : un temps de travail excessif, un empiétement de la vie professionnelle sur la vie privée, des difficultés à se déconnecter.
Il faut fixer des règles et des limites afin d’éviter toute dérive.
💡 Astuce : faites définir les règles par vos collaborateurs afin de travailler sur vos valeurs d’entreprise et donc votre marque employeur
Deuxième étape : analyser les risques et y apporter des solutions !
Compte tenu de la diversité des effets potentiels du télétravail sur la santé des salariés, ce mode d’organisation doit être pris en compte dans l’évaluation des risques professionnels réalisée par l’entreprise (articles L4121-1 et L4121-2 du Code du travail).
Les actions de prévention à mettre en place peuvent porter à la fois sur l’organisation du travail, la formation et l’information de l’encadrement et des salariés ou encore sur l’aménagement des postes de travail des personnes concernées.
La mise en œuvre du télétravail en entreprise questionne ainsi sur l’éventuel développement d’outils de prévention des risques psychosociaux.
Ces outils peuvent être négociés dans la charte ou l’accord relatif au télétravail. C’est alors une occasion d’entamer le dialogue social sur le sujet des risques psychosociaux et notamment sur la déconnexion et la charge de travail.
Troisième étape : on prend soin de ses collaborateurs !
Le contrôle de la charge de travail est important !
On notera d’ailleurs que déjà, l’accord national interprofessionnel de 2005 prévoyait en son article 9 que la charge de travail, les normes de production et des critères de résultats exigés devaient être équivalents par rapport à̀ une situation comparable dans les locaux de l’employeur.
Le télétravail ne doit pas devenir uniquement un outil de flexibilité menaçant la santé des salariés.
Les managers doivent veiller à un suivi régulier des télétravailleurs (via les entretiens obligatoires comme l’entretien professionnel ou à travers des entretiens facultatifs qui pourront être informels).
Animer autrement le collectif de travail !
Les managers ont tout intérêt à trouver des modalités d’animation des équipes de travail qui s’adaptent au contexte : s’approprier au mieux des outils de communication à distance, mettre en place des modalités d’interaction à distance à géométrie variable selon les sujets à traiter ou les configurations de travail, opérer des régulations à distance…
En première ligne dans ce travail d’animation à distance ou au format hybride, les managers de proximité doivent être accompagnés dans cette tâche, notamment par le biais du soutien de leur hiérarchie, par des échanges de pratiques entre pairs ou par des modules de formation spécifiques.
Identifier et intégrer de nouveaux modes d’organisation efficaces !
Pendant la crise sanitaire, dans beaucoup d’entreprises, de nouvelles pratiques, de nouvelles modalités d’organisation se sont mises en place, par la force des choses.
Il est important d’en tenir compte, de valoriser et conserver ce qui est vertueux et de réguler les difficultés éprouvées par les salariés.
Il est intéressant de construire ces best practices de manière collective et participative, avec les salariés et leur encadrement, le service des ressources humaines, avec les représentants du personnel et le service de santé au travail de l’entreprise.
Eviter l’isolement, la perte de sens, la démotivation
Si les risques d’isolement, de perte de sens du travail, de démotivation existent de tout temps, ils peuvent être exacerbés du fait de la persistance du travail à distance, du report de certains projets, d’un travail accompli en mode dégradé (moindre qualité ou contraintes plus importantes pour aboutir au résultat attendu).
L’encadrement doit être attentif à ces points et engager des échanges bilatéraux ou en équipe pour replacer l’activité de chacun ou du collectif dans le contexte du moment, tout en ouvrant des perspectives sur le plus long terme.
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