En droit du travail, il n’est pas rare qu’un employeur accorde à ses salariés des avantages non prévus par le contrat de travail, la convention collective ou la loi. Si ces avantages sont accordés de manière régulière, stable et générale, ils peuvent devenir un usage d’entreprise. Bien qu’il ne repose sur aucun texte officiel, l’usage s’impose à l’employeur tant qu’il n’est pas valablement dénoncé.
Mais à quelles conditions un usage est-il reconnu ? Peut-il concerner un seul salarié ? Comment l’employeur peut-il y mettre fin en toute sécurité juridique ?
On vous explique tout dans cet article complet et à jour.
1. Qu’est-ce qu’un usage d’entreprise ? Définition juridique
Un usage d’entreprise est une pratique constante, générale et fixe, par laquelle un employeur accorde un avantage à ses salariés sans y être légalement ou conventionnellement tenu.
Il ne s’agit pas d’un droit prévu par la loi, une convention collective ou un accord d’entreprise. Il résulte d’une décision unilatérale de l’employeur, mise en œuvre dans le temps.
Exemples fréquents d’usages :
- Versement d’une prime annuelle ou de panier repas sans base conventionnelle.
- Attribution de congés supplémentaires (ex. : jour offert le 24 décembre).
- Pause déjeuner supérieure à la durée minimale légale.
- Cadeaux à Noël pour les enfants des salariés.
💡 À noter : un usage peut exister même s’il ne concerne qu’un seul salarié, à condition que les critères juridiques soient remplis. C’est ce qu’a confirmé la Cour de cassation dans un arrêt du 6 décembre 2017 (n° 16-18.470).
2. Les 3 critères juridiques d’un usage
Pour être qualifié juridiquement d’usage, un avantage doit répondre à trois conditions cumulatives :
1. Généralité
L’avantage doit être attribué à l’ensemble des salariés ou à une catégorie clairement identifiée (ex. : tous les cadres, tous les salariés d’un site ou d’un service).
2. Constance
L’usage doit avoir été accordé de façon régulière, généralement sur plusieurs années consécutives. La jurisprudence retient souvent un minimum de 3 ans pour constater une pratique constante.
3. Fixité
L’avantage doit être accordé dans les mêmes conditions (montant, fréquence, bénéficiaires). Cela permet aux salariés d’en anticiper le bénéfice.
👉 Si l’un de ces critères manque, il ne s’agit pas d’un usage au sens du droit du travail.
3. Quelle est la valeur juridique d’un usage ?
Bien qu’il n’ait aucune base légale ou conventionnelle, l’usage a une valeur juridique dès lors que les critères sont remplis. Il devient opposable à l’employeur, au même titre qu’une clause contractuelle implicite.
- Les salariés peuvent exiger son application.
- Les tribunaux prud’homaux peuvent le reconnaître sur la base de bulletins de paie, témoignages, ou tout document prouvant la pratique constante.
4. Comment dénoncer un usage d’entreprise ? La procédure à respecter
L’employeur a le droit de supprimer un usage, mais il doit respecter une procédure stricte sous peine de nullité de la dénonciation.
Étapes obligatoires de la dénonciation :
1. Informer et consulter le CSE
Si l’entreprise dispose d’un Comité Social et Économique, celui-ci doit être informé et consulté avant toute dénonciation.
2. Informer individuellement les salariés
Chaque salarié concerné doit recevoir une notification individuelle écrite (par lettre recommandée ou remise en main propre).
❌ Une information orale, collective ou par simple affichage ne suffit pas.
3. Respecter un délai de prévenance raisonnable
L’usage ne disparaît pas immédiatement. Un délai raisonnable (généralement 3 à 6 mois) doit être observé avant que la suppression prenne effet. Ce délai permet aux salariés de s’adapter.
Points de vigilance
Une dénonciation qui ne respecte pas les trois étapes ci-dessus est sans effet :
L’usage continue de produire ses effets, et les salariés peuvent en réclamer l’application devant le Conseil de prud’hommes.
6. Cas particuliers et conflits avec d’autres règles
Un usage peut-il être transformé en droit contractuel ?
✅ Oui. Si l’usage est intégré dans le contrat de travail (ou dans un avenant), il devient un avantage contractuel. Il ne peut alors être modifié qu’avec l’accord du salarié.
Que se passe-t-il en cas de changement d’employeur (transfert d’entreprise) ?
🔁 Lors d’un transfert de contrat (fusion, rachat…), les usages en vigueur suivent les salariés. L’employeur repreneur doit les respecter, sauf à les dénoncer valablement après le transfert (art. L1224-1 du Code du travail).
L’usage est-il compatible avec une nouvelle politique RH ?
⚠️ Non, une nouvelle politique ne peut supprimer un usage existant. La procédure de dénonciation doit être respectée, même en cas de changement stratégique ou de volonté d’harmonisation.
7. FAQ : réponses à vos questions sur l’usage d’entreprise
Est-il possible d’informer un salarié de la suppression d’un usage par affichage ou oralement ?
Non. La dénonciation doit impérativement être écrite et individuelle, sous peine de nullité (Cass. soc. 12 mars 2008, n° 06-45.805).
Que faire si l’employeur n’applique pas un usage d’entreprise ?
Le salarié peut saisir le Conseil de prud’hommes pour faire valoir ses droits, à condition de prouver l’existence de l’usage (bulletins, mails, attestations…).
Les salariés peuvent-ils s’opposer à la dénonciation ?
Ils ne peuvent pas bloquer la procédure, mais peuvent contester sa validité si elle n’a pas été respectée (absence d’information individuelle, pas de consultation du CSE…).
Quand un usage devient-il un acquis ?
Dès lors que les 3 critères juridiques (généralité, constance, fixité) sont remplis, l’usage devient acquis pour les salariés. Il s’impose jusqu’à dénonciation.
Un usage peut-il concerner un seul salarié ?
Oui. Contrairement à une idée reçue, un usage peut viser un salarié isolé, à condition qu’il soit régulier, volontaire et fixe. (Cass. soc. 6 déc. 2017, n° 16-18.470)
Quelle est la durée minimale pour qu’un avantage soit qualifié d’usage ?
La jurisprudence admet souvent 3 années consécutives de pratique pour reconnaître un usage, mais cela peut varier selon les circonstances.
Conclusion
Les usages d’entreprise, bien qu’informels, ont une portée juridique réelle. Dès lors qu’ils remplissent les critères de constance, généralité et fixité, ils deviennent des avantages acquis pour les salariés, engageant l’employeur tant qu’aucune dénonciation formelle n’est mise en œuvre.
Face à la complexité croissante du droit social et à l’évolution constante des pratiques RH, il est essentiel pour les entreprises de sécuriser leur cadre de travail, d’éviter les contentieux, et de préserver un dialogue social constructif.
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